La République des "purs", Christ Seul, revue mennonite, nov 2022

« Omo lave plus blanc ! » Qui, de ma génération ne se souvient des superlatifs publicitaires pour vanter les mérites d’une lessive ? Et plus encore de l’ironie avec laquelle Coluche brocardait leurs prétentions ? « « Le nouvel Omo lave encore plus blanc ! »… Blanc, je sais ce que c’est comme couleur, c’est blanc. Moins blanc que blanc, je m’doute, ça doit être gris clair. Mais plus blanc que blanc, qu’est-ce que c’est comme couleur ? - C’est nouveau, ça vient de sortir ! - Ah bon, alors ça va (1) ! »

Plus blanc que blanc

Le comique pointait les exagérations risibles des publicitaires. Il n’avait encore rien vu ! Aujourd’hui, c’est la République qui lave encore plus blanc, ce sont les politiques qui font l’article et leurs exagérations ne sont pas seulement risibles, elles sont mortifères. Qu’ai-je en vue ? La volonté affichée d’être plus que verts en matière d’environnement (« Qu’est-ce que c’est comme couleur ? » pour parodier Coluche). Ou plus que féministes en matière de parité et de lutte contre les violences faites aux femmes. Ou plus qu’antiracistes en matière de discrimination. Ou plus que transparents en matière d’abus de biens sociaux, d’emplois fictifs ou de corruption. Ou plus que laïcs en matière de liberté de culte et d’expression (dans un sens ou dans l’autre selon l’orientation politique).

Rien de nouveau, me direz-vous ! Les politiques ont toujours promis la lune. Et, ne soyons pas dupes, plus pour se faire élire généralement que par pure conscience écologiste, féministe, antiraciste… C’est exact, mais ce qui est inquiétant, c’est que ces prétentions deviennent les étendards d’un nouvel ordre moral. Un nouvel ordre moral à géométrie variable selon les familles politiques et les obsessions médiatiques, mais au nom duquel on pourfend sans nuance et sans pitié ses ennemis comme ses alliés, et pire, au nom duquel on bafoue la police et la justice en mettant en place des cellules d’enquête parallèles et en substituant trop facilement le principe de précaution à la présomption d’innocence.

Les nouveaux pharisiens

Certains se réjouissent du grand ménage ainsi opéré des deux côtés de l’Atlantique : affaire Weinstein, #MeToo, Olivier Duhamel, PPDA, Adrien Quatennens, Julien Bayou… Pour ma part, l’inquiétude le dispute à la satisfaction que les victimes soient entendues et les bourreaux châtiés. Sous les apparences du « Bien » point un moralisme « laïcard » ou un pharisaïsme républicain qui n’a rien à envier à son jumeau judéo-chrétien. Celui-là aussi filtre le moucheron et avale le chameau. Il dézingue les quelques présumés coupables plus que son ombre (il y en aura malheureusement d’autres), mais se garde bien de remettre en cause les choix de vie d’une société ivre de liberté sexuelle jusqu’à la nausée (2). Il ne fait aucune place à la pondération et la nuance : l’auteur d’une gifle, condamnable évidemment, est aussi sévèrement traité qu’un violeur. Il ouvre grand la porte aux basses vengeances puisque la rumeur suffit souvent à condamner. Et ce n’est plus à un bal des hypocrites qu’il convoque mais à un show en 3D : ceux qui lynchent ne sont pas sans reproches, ils sont juste du bon côté au bon moment, « seulement » adultères alors que ce sont les abuseurs qu’on poursuit.

Attention danger !

Reste alors l’Église, me direz-vous ! Las, elle est aussi composée de pécheurs… « pratiquants ». J’en veux pour preuve les scandales sexuels qui secouent l’Église catholique et n’épargnent pas la sphère évangélique (3). Et elle est, elle aussi, traversée, au Brésil, aux États-Unis et à un moindre degré en France, par des rêves dangereux de pureté. Il suffirait, disent certains leaders, que la chrétienté retrouve son lustre et son hégémonie pour que tout aille mieux. Au secours, ils ne connaissent rien ou feignent d’ignorer la face sombre de l’histoire de l’Église !

La République des « purs », qu’ils soient laïcards ou croyants, est toujours une République des « durs »: elle joue au balancier entre une tolérance veule et une intolérance impitoyable, mais ne connaît ni la repentance, ni le pardon. Ce n’est pas la République dont je rêve pour mes enfants et mes petits-enfants, mais c’est celle dans laquelle nous devons agir en disciples du Christ pour apporter un peu de sel et de lumière. Il y a urgence. Réveillons-nous avant qu’il ne soit trop tard !

Étienne LHERMENAULT
Directeur de l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne, ancien président du Conseil national des évangéliques de France

Christ Seul, revue mennonite, nov 2022
https://www.editions-mennonites.fr/

(1) https://fr-fr.facebook.com/Nostalgies607080/videos/coluche-la-publicit%C3%A9-1979/750955735483038/, consulté le 27 septembre 2022.

(2) J’ai découvert que, dans les années 1970, Libération faisait l’apologie de la pédophilie, cf. Laurent Joffrin, « Libération et la pédocriminalité: ‘’On a eu tort de ne pas prendre nos distances’’ », Europe1.fr du 30 décembre 2019, https://www.europe1.fr/societe/liberation-et-la-pedocriminalite-on-a-eu-tort-de-ne-pas-prendre-nos-distances-3940288, consulté le 27 septembre 2022.

(3) Lisez par exemple Youna Rivallain « Sébastien Fath: ‘Il n ‘est pas impossible que l’Église Hillsong disparaisse d’ici quelques années’’ », laVie.fr du 26/04/2022