Libertés individuelles & dérives sectaires : double vigilance
Signalements à la MIVILUDES, contentieux en abus de faiblesse ou pour violences sexuelles, allégations médiatiques des dérives sectaires : pasteurs et Églises évangéliques ne sont pas épargnés !
Un regard lucide nous pousse à une vigilance à double niveau :
- Le cadre juridique français appelle légitimement au respect des libertés individuelles au sein de l’Eglise : il s’agit de protéger les personnes dans l’exercice de leurs libertés fondamentales et de prévenir les actes relevant d’une dérive autoritaire, de l’ordre de l’abus de droit, dans un contexte religieux.
- Il présente néanmoins des risques intrinsèques pour la liberté de culte. Au sein d’une société sécularisée, éloignée de la compréhension de l’autorité spirituelle ou de la communauté chrétienne vécue en Eglise, il faut veiller à ce que l’arsenal législatif contre les dérives sectaires ne soit pas appliqué à tort pour fragiliser ou réduire la libre organisation des cultes.
1. Libertés individuelles dans l'Église : des autonomies en tension ou en relation ?
L’Église n’est jamais une zone de non-droit.
Issues de textes constitutionnels, européens et internationaux, les libertés fondamentales inaliénables et imprescriptibles (pensée, conscience, religion, vie et propriété privée, association, intégrité physique, accès à la santé, liberté d’opinion, circulation…) sont reconnues à tout individu et ne s’arrêtent pas à la porte des églises.
La tension entre l’autonomie individuelle et l’autonomie des cultes (librement organisés en vertu de la loi de 1905) se résout en comprenant que l’exercice d’un culte procède d’un choix libre.
Les cultes émanent quant à eux de l’exercice collectif des libertés de religion et d’association. Ils peuvent déterminer librement leurs doctrines, rites et pratiques, ainsi que leur organisation, ce dans le respect de l’ordre public, qui inclut justement le respect des libertés fondamentales.
Ainsi, la première garantie pour l’individu est la possibilité de quitter la communauté et l’association, librement, sans pression, représailles ou atteinte à ses intérêts.
Respecter l’autonomie de la personne en la laissant libre de ses choix, même s’il appartient au groupe, c’est en pratique :
- ne pas s’ingérer dans la vie privée ou familiale,
- ne pas imposer d’opinion politique ou limiter l'accès à l’information et la communication,
- ne pas contraindre aux dons,
- préserver l’accès aux soins et à la justice,
- garantir l’intégrité physique et psychique…
Au sein de l’Eglise, le ministre du culte et les fidèles peuvent bien entendu enseigner, conseiller, accompagner tout en gardant la juste distance pour ne pas imposer, contraindre ou forcer.
Tout individu est et reste un “sujet”, acteur de sa vie et non un “objet”, chose à disposition d‘autrui et de sa manipulation quel qu'en soit le procédé.
2. Lutte contre les dérives sectaires : objectif légitime, arsenal complet mais notions ambigües
En appui de ce socle fondamental, pour appréhender un phénomène polymorphe, la lutte contre les dérives sectaires (renforcée en 2022) s’organise autour de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires via un arsenal complet de droit commun (en matière de fraude fiscale, au droit du travail, en matière pénale) et de textes spéciaux, en particulier :
- délit d’abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse, placement ou maintien d’une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique (articles 223-15-2 et suivants du code pénal) et circonstance aggravante de sujétion psychologique ou physique pour de nombreux crimes et délits
- délit de provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins et adoption de pratiques risquées pour la santé, articles 223-1-2 et suivants du code pénal
Ce modèle français est largement critiqué à l’international pour son risque d'arbitraire via des notions floues comme la “sujétion psychologique” ou “ les pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement”.
Dans un État de droit comme la France, l’indépendance de la justice et la neutralité attendue de l’exécutif constituent en principe des garde-fous. Exporté dans des contextes moins démocratiques, ce modèle risque d’être instrumentalisé contre une religion ou des groupes minoritaires précis.
L’autorité spirituelle, la prière ou la prédication répétée, l’accompagnement pastoral, la prière pour la guérison pourraient-elles tomber dans ces qualifications juridiques ? Si la croyance en elle-même n’est pas sanctionnée, les pratiques peuvent être visées si elles ont causé, avec l’intention de leur auteur, un préjudice grave à une personne. L’appréciation des faits par les juges est donc un vrai enjeu dans notre société qui comprend de moins en moins le fait religieux.
3. Le cadre juridique français : un levier pour des bonnes pratiques, dans un état de droit
Pour les Églises, le risque réel ne réside pas tant dans la doctrine chrétienne que dans les pratiques concrètes : rapport d’autorité et choix personnels - vie privée, vie professionnelle-, exigences financières, exigences d’engagement ( des bénévoles), rapport aux soins médicaux, violences physiques ou psychologiques, transparence fiscale, enrichissement personnel des dirigeants, logique de toute puissance sur les fidèles, contrôle des communications….
Pour les structures ecclésiales et dans les oeuvres, le cadre juridique peut servir de levier pour une meilleure protection du droit des personnes via la mise en place de garde-fous : chartes de déontologie pastorale, règles de protection des personnes, dispositifs internes de gestion des lanceurs d’alerte, formation des responsables, analyse de pratiques, gouvernance transparente, cadre de redevabilité ….
Ces outils permettent de poser un cadre en amont et de traiter en aval les situations complexes de manière mieux préparée et plus impartiale.
Derrière l’impératif légal, se trouve un enjeu de prévention, de liberté de religion et de sécurité des personnes dans l’Eglise. Allons donc vers une gestion lucide et responsable de l'autorité dans l'église, pour garantir la protection des personnes et leur liberté en droit et en Christ.
Nancy LEFÈVRE
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