3/5 - Le défi biblique
Le défi biblique : quelle transmission des fruits de la recherche biblique ?
Le troisième défi est « biblique ». Lorsque j’ai posé autour de moi la question des défis des dix ans qui viennent, voilà ce que m’a répondu l’un de mes collègues biblistes : le rapport Ancien Testament/Nouveau Testament, il faut qu’on comprenne qu’il faut lire le Nouveau Testament en prenant au sérieux son rapport à l’Ancien Testament. Nous n’y aurions peut-être pas pensé comme un défi ! Mais vous allez comprendre. C’est une question qui est formidablement d’actualité dans le monde de la recherche biblique. Un petit volume vient de paraître sur ce sujet, de Greg Beale , et de nombreux commentaires bibliques récents valorisent, dans l’étude du Nouveau Testament, le rapport à l’Ancien Testament.
La question qui se pose ici, et dont ce rapport Ancien/Nouveau Testament est en fait symbolique, c’est comment faire le lien entre la recherche biblique (et même théologique) et la vie de l’Église et des chrétiens ?
Beaucoup de gens font aujourd’hui de la théologie, en particulier sur Internet. Et c’est a priori une bonne chose : cela reflète une soif de réflexion et de compréhension, notamment dans la jeune génération, qui est de bon augure pour l’avenir ! Mais il est en même temps évident que tout ne se vaut pas. Ce n’est pas le support qui est forcément en cause : Internet est un support qui a ses avantages et ses inconvénients, mais c’est le type de discours mis en œuvre.
La question est la suivante : comment le travail qui se fait dans nos écoles de théologie, en particulier, et dans la littérature biblique et théologique de nos maisons d’édition, également, peut-il parvenir jusqu’aux Églises et jusqu’aux chrétiens qui veulent nourrir leur réflexion ? Et quand je parle de nos écoles de théologie, c’est en fait non seulement celles de la francophonie mais aussi celles du monde entier, puisque je peux aujourd’hui bénéficier dans ma réflexion tant de la pensée puissante et originale d’un théologien pentecôtiste singapourien comme Simon Chan que de l’exégèse rigoureuse d’un théologien presbytérien nord-américain comme Greg Beale.
On pourrait dire que c’est une question de toujours. Mais pas tout à fait. La recherche biblique et théologique est extrêmement dynamique aujourd’hui. Sur le rapport Ancien/Nouveau Testament, pour reprendre l’exemple introductif, les exégètes travaillent et écrivent. L’intertextualité, c’est-à-dire l’étude de la façon dont les textes bibliques interagissent les uns avec les autres, et en particulier les textes du Nouveau Testament avec ceux de l’Ancien Testament, fait l’objet de travaux très riches. Mais ce n’est pas le seul sujet, bien sûr. En exégèse, l’étude du contexte du Nouveau Testament connaît de grands développements, que ce soit pour le monde juif ou pour le monde gréco-romain, ce qui éclaire la lecture biblique. L’étude du rapport du Nouveau Testament à l’Empire romain, par exemple, vient enrichir et nuancer le message de soumission aux autorités qu’on pourrait tirer de la seule lecture de Romains 13. Il y a aussi une contestation de l’Empire dans le Nouveau Testament. Sur un sujet débattu, le rôle et le statut des femmes dans l’Antiquité, de nombreuses études paraissent aussi. Au niveau des méthodes, l’analyse narrative des récits bibliques est susceptible d’enrichir sérieusement la lecture des récits de l’Ancien et du Nouveau Testament, et donc la prédication. Sur le rapport Bible/science, les travaux du Réseaux des scientifiques évangéliques sont de plus en plus nombreux. Et puis on pourrait élargir, en histoire et en dogmatique, les évangéliques s’intéressent de plus en plus aux Pères de l’Église, par exemple. En missiologie, on travaille sur l’orientation missionnaire de l’ensemble de la Bible, comme le fait très bien Christopher Wright dans son livre La mission de Dieu .
Il est tout à fait normal qu’il y ait un décalage entre la réflexion universitaire, d’une part, qui tâtonne, qui fait des hypothèses, qui lance des débats contradictoires, et la vie des Églises, d’autre part. D’autant plus que tout n’est pas utile à tout le monde. Mais il ne faudrait pas que ce décalage soit un gouffre !
Comment faire, en résumé, pour que la recherche évangélique, qui est aujourd’hui au plus haut niveau possible, dans le monde entier, puisse bénéficier à toute l’Église ?
Le tout nouveau secrétaire général de l’Alliance évangélique mondiale, l’allemand Thomas Schirrmacher, vient de déclarer que la baisse de la connaissance biblique, ce qu’il appelle l’illettrisme biblique, est une catastrophe pour le mouvement évangélique mondial ; et que c’est une source d’abandon de la foi pour certains jeunes et de déviations comme l’Évangile de la prospérité . On pourrait faire aussi l’hypothèse que ce manque de connaissances, et peut-être surtout ce manque de structuration théologique, est à l’origine de notre sensibilité/vulnérabilité d’évangéliques aux rumeurs et autres fake news. Comment faire en sorte que les richesses de la Bible et de la pensée théologique d’aujourd’hui (et d’hier, d’ailleurs) nourrissent la foi des chrétiens et leur donnent envie d’en savoir davantage. ?
Les livres sont un très bon un moyen de transmission : la production n’a jamais été aussi importante. De même, le numérique, Internet, est un bon moyen de transmission, à condition – et cette condition sera décisive dans l’avenir – que la simplification que nécessite le média Internet ne se fasse pas au détriment du contenu, et qu’une pensée complexe et nuancée demeure possible. Enfin, et c’est encore plus fondamental, les pasteurs sont évidemment les premiers maillons de la transmission, puisqu’ils ont accès à de la littérature de bon niveau et que la « traduction » fait partie de leur métier ; ce qui soulève la question de leur formation continue, qu’elle soit auto-gérée ou organisée.
C’est le défi biblique.
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